Pourquoi je ne me suis pas suicidée ?

Pourquoi je ne me suis pas suicidée?Critique poético-médiatique d’une génération qui n’a plus d’idées politiques.

L’homicide révolte quand le suicide inquiète. Le journal, en relatant le meurtre permet à l’auditeur de réactiver la norme: Tu ne tueras point. Assassins, chauffards, braqueurs sont des héros négatifs, exemplaires d’un mépris actif du respect de la vie que la société tout entière s’emploie à développer chez chacun. Ils sont dénoncés dans le journal comme des tricheurs du jeu social. Le suicidé ne peut pas être présenté comme un tricheur, son cas est plus grave, il refuse de jouer.

Textes, jeu : Elsa Mingot
Mise en scène : Atsama Lafosse

EXTRAIT

X ou plutôt XY décide de se suicider. Fuck la société ! Elle a « voté » la mort (pour les démocratiques), mais surtout pour prouver que l’UN peut avoir raison sur le multiple. Elle se dit qu’elle a des droits, qu’elle a des devoirs et le devoir d’user de ses droits. Voilà. Elle est de la génération qui n’a plus d’idée politique et qui s’en fout, parce qu’elle se fout du passé. Et qui ne comprend rien au problème israélo-palestinien parce que c’est du passé, qu’on subi au présent, et dont on ne sortira jamais… De toute façon, elle s’en fout. Parce qu’aujourd’hui elle n’a plus la télé, elle a décidé de se suicider. Ça y est. Elle se dit que le temps n’aura pas raison d’elle, et que tant qu’à mourir, elle choisit « l’âge tendre » de Barbara. Elle est de la génération du chômage et du SIDA, pour elle vieillir, c’est renoncer et faire l’amour c’est danger. Mieux vaut baiser. Surtout les autres… Parce que c’est connu « l’Enfer c’est les autres », c’est pas d’elle, mais c’est vrai. Alors mieux vaut être le premier à partir en fumée. Pour finir en beauté, XY va se documenter sur Internet et en bibliothèques. Le 1 mai 2009, elle tombe sur un numéro spécial de la revue surréaliste « Le Disque Vert » de Bruxelles dédié à l’auto-suppression. Elle y apprend que

« Par le suicide, je me reconquiers, je réintroduis mon dessein dans la nature, je choisis ma pensée, la direction de mes forces, de mes tendances, de ma réalité ».

XY : Quelle merde! Le JE est omniprésent quand c’est le VOUS qui m’y pousse. Comment ne pas tomber dans un individualisme primaire quand mon geste se veut contestataire? Je ne veux pas mourir pour retrouver « MA réalité », mais pour prouver que cette réalité là n’est pas la bonne, que la société s’est trompée…

XY est en pleine contradiction. Elle ne veut pas donner raison aux autres, mais elle ne sera plus là pour argumenter après. Alors que faire? Elle cherche, mais ne trouve pas. Elle sait juste qu’elle veut se suicider.

XY : Non, ça ne marche pas. Aujourd’hui pour faire bouger les consciences, faut passer au JT du dimanche. On ne croit que ce qu’on voit et le suicide, par déontologie, on ne le montre pas. Pour contredire la société il faut l’attaquer, sur son terrain. Je vais me suicider dans l’espace public, là où c’est chez personne et tout le monde à la fois ; là où ça ne se fait pas, sauf pour les fous, les anonymes, les kamikazes et les terroristes.
Et puis si on ne me comprend pas, m’en fout, j’serai plus là.

Un mal-être l’emplit… innommable…imprécis

NOTES DE L’AUTEURE

>> Partir des découvertes

Sans avoir la prétention d’écrire une pièce qui allait changer la face du monde par ses révélations et sans pour autant vouloir faire une pièce pédagogique, je savais dès le commencement que j’allais chercher à transmettre « ce minimum d’information dont on ne parle pas à la télévision ». Découvrant au cours de mes recherches, que cet acte était beaucoup moins marginal que ne l’avais présupposé, ma position s’est radicalisée. Apprenant, entre autres, que le suicide est la première cause de mortalité chez les 15-35 ans, qu’il frappe en 2009 en France 1 personne à l’heure (plus du triple pour les TS), plus de 4 fois le nombre de tué par accident de la route… Il m’a paru d’autant plus important de ne pas laisser la question en suspens.

>> La convocation des médias

C’est alors qu’ont resurgi du fin fond de mon inconscient mes cours de journalisme. Je retombais sur le code de déontologie dont on ne peut se défaire sous peine de poursuites judiciaires : Un journaliste ne peut parler d’un suicide que s’il ne nomme pas de la victime. Comment avais-je pu passer à côté sans m’en rendre compte ? Le journaliste (et par extension les Médias), celui par qui l’information est révélée, œil omniprésent, miroir de la société, ne peut révéler l’identité d’un suicidé « par respect » pour sa famille. Y aurait-il quelque-chose de « condamnable » derrière cet acte ?

>> Ne pas dédouaner la société

« La société condamne le suicide parce qu’il s’agit d’un acte, le seul, où son autorité et son contrôle sont mis en échec. En somme, il y a crise de lèse-société. L’homme est un être qui peut se tuer mais qui ne doit pas le faire. L’idée morale essentielle qui condamne le suicide consiste à déclarer et à répéter que « l’individu doit obligatoirement assurer son service social, que par sa naissance involontaire il contracte un contrat avec la société comme partenaire, que la loi morale veut que cette dette aille en s’amplifiant au fur et à mesure qu’il s’intègre à cette société. Se suicider c’est au contraire se soustraire à ses devoirs, les fuir, rompre le contrat qui vous lie à ladite société ».

Suicides, histoire et bizarreries de la mort volontaire de Monestier

J’apprenais au même moment qu’à l’heure actuelle (2009) sur la planète plus de 30% des pays condamnent encore le suicide, pour des questions politiques et/ou religieuses. Comment ne pas en parler ? Comment laisser ce tabou de côté ?

Elsa MINGOT