Antigone Ya Kongo

« Il faut savoir que tout dans l’univers est une lutte, la justice est un conflit, et que tout le devenir est déterminé par la discorde. »

Héraclite l’obscur, Tragédie et Philosophie.

Depuis quelques décennies nous assistons passivement à un glissement de l’ordre des Hommes, où les GAFAS remplacent Dieu, poussant le cynisme jusqu’à investir dans la gériatrie et l’eugénisme. La loi économique fait office de loi naturelle, et la République Démocratique du Congo en est l’une des premières bienfaitrices. Pays parmi les plus riches au monde en termes de ressources naturelles et de minéraux rares, la RDC reste l’un des plus pauvres. En 2019, elle atteindra le record obscène d’une fuite légale des capitaux estimée à sept milliards de dollars (vers les sièges des multinationales à l’étranger), contre un budget national avoisinant les 4,4 milliards[1]. Ajoutez à cela une courte analyse des récentes élections présidentielles et on atteint le paroxysme du tragique. Or, le tragique n’existe pas au quotidien. Il n’y a tragique que s’il y a rapport de l’être à l’absolu, avec ce qui est au-delà de lui, avec Dieu. En RDC, la boucle serait-elle donc bouclée ?

Le tragique est l’impossibilité de penser l’unité du monde.
C’est la conscience que « je ne peux pas concilier l’ensemble de ce qui fait l’être ».

Antigone n’est pas une tragédie parmi d’autres, c’est LA tragédie des tragédies. Elle nous met face à ce qu’il y a de tragique dans l’humain. Cette « navette mythique » a traversé les époques, connaissant d’innombrables réécritures. Le conflit mis en scène par Sophocle, Brecht, Anouilh, Cocteau, Racine, Garnier, entre autres, est d’une actualité permanente. Il illustre la contradiction entre la conscience individuelle et le bien public, contradiction dont la nature est inséparable de l’histoire et de la condition sociale de l’être humain.

ANTIGONE YA KONGO tente une réécriture extra-européenne du mythe.

Pamphlet contre la loi humaine et pour la loi divine ou, au contraire, apologie de la raison d‘Etat : les générations se sont succédé, incapables de trancher. Antigone courageuse ou intégriste, fanatique de la religion des morts ? Créon nationaliste ou militant d’un État « laïque » ? Pluralité des sens et irréductibilité des interprétations, le conflit Antigone-Créon semble être un prérequis de la conscience intellectuelle et politique d’une démocratie.

Sophocle et Brecht situent Antigone en période d’instabilité politique. Pour le premier, Thèbes a gagné la bataille mais la guerre ne semble pas terminée pour autant. Pour le deuxième nous sommes en 1939-45. Dans ces crises politiques, les valeurs traditionnelles se heurtent à des politiques autoritaires voire aliénantes. ANTIGONE YA KONGO se situe en RDC, au lendemain des dernières élections présidentielles, entre élan démocratique exemplaire et dénouement aux allures de vaudeville.

Aux fondements d’ANTIGONE YA KONGO, il y a une volonté d’exploration des consciences civiques individuelles, des perceptions du politique et des ressorts de la révolte. Selon nous, cette re-contextualisation du mythe ne clôture pas les interprétations, bien au contraire, elle cherche à ouvrir vers des questions universelles : qui incarne les lois de l’Etat ? Qui incarne les lois divines ? Comment l’être humain conquiert l’harmonie entre sa vie sociale et ses besoins intérieurs ?

Que feriez-vous à la place de Créon ? Que feriez-vous à la place d’Antigone ?

 

[1] Ainsi, en 2015, le professeur Stefaan Marysse a démontré que, depuis 2013, les profits rapatriés vers les sièges des multinationales opérant en RD Congo ont excédé les entrées de capitaux. En se fondant sur les données du FMI, le chercheur a estimé qu’en 2019 les profits rapatrié s rapatriés vers les sièges des multinationales à l’étranger devraient être 3 à 3,5 fois plus importants que les entrées d’IDE, avec « deux milliards de dollars d’entrées et sept milliards de profits rapatriés ». En comparaison, le budget national de la RD Congo en 2017 est d’environ 4,4 milliards de dollars.